Alinghi, cheval de cow-boy

Martin Black impressionne lors d'une séance de débourrage qui a fait de deux jeunes chevaux encore verts des animaux aptes à la selle. L'un d'eux s'est révélé doué dans le travail du bétail...

 
  Les deux poulains sellés, Martin Black va leur apprendre à être autonomes. Debra et Alinghi seront donc chassés dès qu'ils seront ensemble et laissés tranquilles dès qu'ils accepteront d'être séparés.  

Sur le coup de 22h30, Martin Black met pied à terre. Il descend d'Alinghi, un jeune demi-sang suisse croisé avec un akhal téké, qui vient de faire ses premières armes sous la selle. Le public, conquis, applaudit. En moins de deux heures, deux poulains ont appris à accepter la selle et le cavalier, une véritable gageure pour un animal-proie, à l'état sauvage et dans son atavisme. Cette vocation de victime étant le moteur du cheval qui n'entrevoit son salut que dans la fuite, plus encore lorsqu'un prédateur s'agrippe à son dos. C'est pourquoi le débourrage d'un cheval peut être le garant d'une vie future harmonieuse, s'il est réussi, ou alors un véritable traumatisme, qui le laissera à jamais inquiet et prêt à fuir à la moindre contrariété, si la peur et la contrainte sont les seuls souvenirs qu'il en garde. Pour comprendre encore mieux la performance de cet Américain à l'accent incroyable, il faut savoir que le débourrage «classique» d'un poulain jusqu'à sa première expérience sous la selle prend une semaine le plus souvent.

Mais revenons à cette soirée de vendredi, qui s'est déroulée par un froid mordant devant un parterre de cavaliers «classiques» ouverts à l'éthologie et une cohorte de cavaliers western, stetson vissé sur la tête. Dans le corral, dressé au centre du manège, deux poulains, propriétés de Raymond Martin de Penthaz, écarquillent les yeux et apprivoisent cet environnement tellement différent de leur écurie. Ils ont grandi ensemble et ne se quittent pas. Le contact les rassure. Le maître arrive, Antoine Cloux, son disciple, sert de traducteur. Martin Black ne parle pas de dureté ou de gentillesse, mais de désensibilisation, de confort et d'inconfort. Il est en selle et c'est une jument répondant au nom de Debra qui va vivre des instants incroyables. Le public a à peine le temps de comprendre ce qui se passe et une assistante lance chabraque et selle sur le dos de la pouliche. Elle accepte. À peine sanglée, après avoir effectué quelques pas, la jument reçoit sur son dos l'assistante et se montre coopérative. Là aussi tout se passe vite, mais sans précipitation, puis Debra est relâchée. Sa selle sur le dos, elle va assister, curieuse au travail d'Alinghi, qui lui aussi acceptera, selle et cavalier. Mieux, l'alezan sera mis en présence d'un veau et Martin Black lui apprendra le b.a.-ba du travail du bétail. Le maître se montrera très satisfait de son élève et les progrès d'Alinghi n'échapperont pas aux regards de l'assistance.

En assistant à la première phase du travail, personne ne douta du fil invisible qui relie Martin Black aux chevaux. Son œil aiguisé voit leurs intentions et les anticipe, cela fait toute la différence. En effet, pour que le courant passe, il ne faut pas agir à contretemps, c'est vraiment du grand art et si la technique est épatante, il n'est quand même pas à la portée de tout le monde. D'ailleurs Antoine Cloux est très clair sur le sujet: «Surtout, ne changez pas votre manière de monter et de travailler du tout au tout dès demain, lance-t-il au public, mais tirez des enseignements de ce que vous avez vu. Et adaptez votre travail petit à petit.» Nous ajouterons que pour se lancer dans l'équitation éthologique, il faut un feeling incroyable et, finalement, parler cheval en interprétant avec justesse les attitudes de la plus noble conquête de l'homme.

Le temps d'apprendre

Martin Black doit convaincre Alinghi de lui accorder toute son attention. Il veut que le poulain le regarde franchement avant d'aller plus loin.

 

Alinghi a compris, il est relié à Martin Black par un fil invisible. La crainte s'est envolée. Il est temps de le seller. Alinghi se montre très réceptif.

 

Martin Black va même en faire un cheval de cow-boy. Épatant de le voir se prendre au jeu. Suivre, puis mener le veau de lui-même, au, dans le calme.

 

24 Heures La Côte, 28 novembre 2005, p. 23
Danièle Pittet